Beaucoup d’idées fausses et de conclusions hâtives sont colportées sur le net à propos de la règle dite des 183 jours. Nous avons donc décidé de vous livrer la vérité, toute la vérité, sur la règle des 183 jours.

La règle des 183 jours figure dans bon nombre de conventions internationales relatives aux doubles impositions. Nous nous limiterons toutefois à vous présenter cette règle à l’échelle franco-allemande, c’est-à-dire telle qu’elle résulte de l’article 13 alinéa 4 de la Convention fiscale conclue entre la France et l’Allemagne le 21 juillet 1959 (désignée dans la suite du texte par : « CFFA »).

Le public oublie souvent que cette règle n’est applicable qu’à condition que son champ d’application soit ouvert (I) et que ses conditions (II) soient toutes remplies.


I. Champ d’application

Le champ d’application de la règle des 183 jours  est ouvert lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :

  1. Il existe un conflit entre la loi fiscale française interne et la loi fiscale allemande interne, c’est-à-dire un risque de double imposition des mêmes revenus dans les deux Etats.
  2. La personne concernée a des revenus provenant d’un travail dépendant, c’est-à-dire qu’elle a généralement le statut de salarié.

La CFFA a pour but d’éviter les doubles impositions qui pourraient résulter du fait qu’une personne soit soumise en même temps à la loi fiscale française qu’à la loi fiscale allemande. En effet, la CFFA ne crée pas de droit à imposition, mais elle détermine la loi applicable lorsqu’il existe un conflit entre la loi interne de la France et de l’Allemagne.

Prenons un exemple :

Monsieur Dupont vit avec son épouse et ses deux enfants dans un appartement à Paris. Il travaille sous contrat local en tant que salarié pour une société dont le siège est à Cologne. Du lundi au vendredi, Monsieur Dupont travaille à Cologne où il occupe un appartement mis à sa disposition par son employeur. Monsieur Dupont retourne tous les weekends auprès de sa famille à Paris.

Pour déterminer si Monsieur Dupont est passible de l’impôt en France ou en Allemagne au titre des ses revenus salariaux perçus en Allemagne, il convient d’abord d’interroger la loi fiscale interne des deux Etats. S’il résulte des législations internes que Monsieur Dupont devrait être imposable dans les deux Etats, il conviendra alors d’interroger la CFFA.

  • Loi fiscale française interne

En France, la loi fiscale interne dispose que toute personne ayant son domicile ou son lieu de séjour principal en France est passible de l’impôt sur le revenu en France en raison de l’intégralité de ses revenus. Il s’agit donc d’une obligation fiscale « illimitée », c’est-à-dire que le contribuable doit en principe être soumis à l’impôt sur le revenu en France sur l’ensemble de ses revenus de source française ou étrangère.

Dans notre exemple, les revenus salariaux de Monsieur Dupont perçus en Allemagne devraient donc être soumis à l’impôt en France puisqu’il a son domicile en France et qu’il y est soumis à une obligation fiscale illimitée (donc incluant les revenus de source allemande).

  • Loi fiscale allemande interne

Parallèlement, Monsieur Dupont occupe un appartement en Allemagne. Cet appartement est constitutif d’un domicile au sens de la loi allemande. Or, la loi fiscale allemande interne dispose également que toute personne ayant son domicile ou son lieu de séjour habituel en Allemagne est passible de l’impôt sur le revenu en Allemagne en raison de l’intégralité de ses revenus. Il s’agit donc aussi d’une obligation fiscale « illimitée », c’est-à-dire que le contribuable doit en principe être soumis à l’impôt sur le revenu en Allemagne sur l’ensemble de ses revenus de source allemande ou étrangère.

Ainsi, dans notre exemple, les revenus salariaux de Monsieur Dupont perçus en Allemagne devraient donc aussi être soumis à l’impôt en Allemagne puisqu’il y a son domicile et qu’il y est soumis à une obligation fiscale illimitée.

Nous constatons donc qu’en appliquant uniquement la loi interne des deux Etats, Monsieur Dupont devrait être à la fois passible de l’impôt en France et en Allemagne sur ses mêmes revenus salariaux de source allemande. Il existe donc un conflit entre les deux législations internes des deux Etats qui risque de conduire à une double imposition.

C’est exactement pour régler ce genre de conflits que les Etats concluent entre eux des conventions fiscales. Ainsi, la CFFAqui prime sur les lois internes des deux Etats, va trancher le conflit et déterminer, selon ses propres règles, lequel des deux Etats aura finalement le droit d’imposition.

  • CFFA

La CFFA tranche les conflits d’imposition en fonction de la catégorie de revenus concernés. Les revenus salariaux font partie des « revenus provenant d’un travail dépendant » réglementés à l’article 13 de la CFFA.

L’article 13 alinéa 1 de la CCFA dispose que les revenus provenant d’un travail dépendant sont en principe imposables dans l’Etat où s’exerce l’activité personnelle source de ces revenus. Cela signifie, dans notre exemple, que les revenus salariaux de Monsieur Dupont sont en principe imposables en Allemagne puisqu’il travaille en Allemagne.

Ce principe connaît toutefois des exceptions, dont la règle des 183 jours.

 


II. Contenu et conditions de la règle des 183 jours

Une fois ouvert le champ d’application de l’article 13 CFFA, il convient d’étudier de plus près le contenu et les conditions de la règle des 183 jours.

Cette règle constitue une exception au principe de l’art. 13 al. 1 CFFA, selon lequel les revenus salariaux sont imposables dans l’Etat où le contribuable exerce personnellement son activité.

En effet, la règle des 183 jours dit que les revenus salariaux sont, par exception, imposables dans l’Etat de résidence du contribuable, sous réserve que les trois conditions suivantes soient remplies cumulativement :

  • Le contribuable séjourne dans l’Etat où il travaille pendant une période inférieure ou égale à 183 jours au cours de l’année considérée, et
  • les rémunérations sont payées par un employeur ou pour le compte d’un employeur qui n’est pas résident de l’Etat où travaille le contribuable, et
  • la charge des rémunérations n’est pas supportée par un établissement stable ou une installation permanente que l’employeur a dans l’Etat où travaille le contribuable.

S’agissant de la première condition (séjour de moins de 183 jours dans l’Etat où le travail est exercé), il faut savoir que les dimanches, jours fériés, jours d’arrêt de maladie ainsi que les brefs déplacements dans l’Etat de résidence ou dans des Etats tiers, sont en principe inclus dans le nombre de jours passés dans l’Etat où est exercée l’activité.

Dans notre exemple, Monsieur Dupont exerce son activité en Allemagne. Les weekends que Monsieur Dupont passe auprès de sa famille en France sont comptabilisés dans le décompte du nombre de jours passés en Allemagne.

La deuxième condition (rémunérations payées par un employeur qui n’est pas résident de l’Etat où travaille le contribuable) est la plus importante en pratique et celle qui passe le plus volontiers aux oubliettes ! Dans notre exemple, la règle des 183 jours prend seulement effet si les salaires perçus par Monsieur Dupont ne lui sont pas versés par un employeur qui a son siège en Allemagne. L’employeur s’entend généralement de celui qui a conclu un contrat de travail avec le salarié.

La raison de cette condition est simple : l’employeur peut en principe déduire de son bénéfice imposable les rémunérations versées à ses salariés dans l’Etat où il a son siège. Ainsi, un employeur situé en Allemagne peut généralement déduire de son bénéfice imposable en Allemagne les rémunérations versées à ses salariés. La deuxième condition a pour but d’éviter que les salaires corrélatifs à ces rémunérations soient exonérés dans l’Etat où ils ont été déduits du bénéfice imposable de l’employeur. La troisième condition s’inscrit dans le même esprit.

Ces trois conditions doivent être remplies cumulativement. Il ne suffit pas seulement de séjourner moins de 183 jours en Allemagne pour être imposable en France. Encore faut-il que les rémunérations soient versées par un employeur établi en France – et non par un employeur établi en Allemagne.

Lorsque ces trois conditions sont remplies, le contribuable est imposable sur l’intégralité des salaires dans son Etat de résidence. L’Etat de résidence au sens de la CFFA et des droits internes de l’Allemagne et la France est généralement l’Etat, dans lequel le contribuable habite régulièrement avec sa famille.

Dans notre exemple, Monsieur Dupont a sa résidence en France car sa famille habite en France et il y retourne régulièrement. Toutefois,  il travaille plus de 183 jours par an en Allemagne. Par ailleurs, il est sous contrat local en Allemagne et son salaire lui est versé par son employeur allemand. Les conditions de la règle des 183 jours ne sont donc pas remplies. Par conséquent, ses revenus salariaux sont intégralement imposables en Allemagne (ces revenus seront toutefois à déclarer en France, mais le contribuable y bénéficiera d’un crédit d’impôt qui a pour but d’effacer toute double-imposition).

En pratique, il arrive souvent que la deuxième condition ne soit pas remplie. Cela concerne notamment les cas d’expatriation où un salarié travaille sous contrat local avec un employeur situé en Allemagne, mais rentre tous les weekends auprès de sa famille restée en France. Lorsque ce salarié est amené à travailler une partie de l’année en Allemagne et une autre partie de l’année en France ou dans d’autres Etats tiers (toujours dans le cadre du même contrat avec l’employeur situé en Allemagne), il convient alors de répartir le salaire perçu en fonction des jours travaillés en France et en Allemagne. Le salarié sera imposable en France sur la quote-part de salaire correspondant aux jours travaillés en France (et dans les Etats tiers) et en Allemagne sur la quote-part des jours travaillés en Allemagne.

 


III. Ce qu’il faut retenir

Dans le cas d’un salarié qui réside en France, mais qui travaille en Allemagne (et qui n’est pas frontalier), la règle des 183 jours s’applique lorsque les conditions suivantes sont remplies cumulativement :

  • La personne séjourne en Allemagne pendant une période inférieure ou égale à 183 jours au cours de l’année considérée.
  • Les rémunérations perçues par cette personne ne lui sont pas versées par son employeur allemand.
  • La charge des rémunérations n’est pas supportée par un établissement stable ou une installation permanente que l’employeur a en Allemagne.

Lorsque toutes ces conditions sont remplies, les salaires perçus sont imposables intégralement en France. L’Etat de résidence est généralement l’Etat, dans lequel la personne habite régulièrement avec sa famille.

Lorsque l’une au moins de ces conditions n’est pas remplie, les salaires perçus sont imposables dans l’Etat où l’activité est exercée.

Lorsque l’activité est exercée en France et en Allemagne pour le compte du même employeur et que les conditions de la règle des 183 jours ne sont pas remplies, il convient de répartir le salaire en fonction des jours travaillés dans chaque Etat. Le salaire sera imposable en France au prorata des jours travaillés en France et en Allemagne au prorata des jours travaillés en Allemagne.

 

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